Les biocombustibles, une nécessité pour le Sahel

Les combustibles ligneux, c’est-à-dire issus des forêts et boisements, représentent 45% de la consommation totale d’énergie du Sénégal, et 84% de celle des ménages. L’exploitation du bois de chauffe est ainsi le principal responsable du recul des peuplements végétaux : chaque année, ce sont 40 000 Ha de forêts qui disparaissent au Sénégal.

La politique de subventionnement du gaz butane actuellement menée par le gouvernement sénégalais dans le but de limiter les coupes de bois domestique est extrêmement coûteuse, et ne pourra donc probablement pas être poursuivie. Il en résultera une pression accrue sur le bois et sur le charbon de bois (1). La mise au point et la promotion de combustibles domestiques alternatifs est donc une priorité pour l’Etat sénégalais (comme pour les autres Etats du Sahel). Pour cela, il a développé avec l’aide de la coopération technique de la République Fédérale d’Allemagne un programme d’intervention (PERACOD II) (2).

La place des biocharbons

Dans la gamme des combustibles alternatifs, les biocharbons occupent une place privilégiée pour leur relative facilité à s’insérer en substitut du charbon de bois, qui demeure la principale source d’énergie domestique au Sahel. Ils s’apparentent en effet à celui-ci en termes de mode d’utilisation et de pouvoir calorifique – même s’ils présentent un certain nombre de spécificités, généralement dans le sens de performances légèrement plus faibles – ce qui devrait faciliter a priori leur introduction dans les habitudes culinaires. Les biocharbons peuvent être fabriqués, toujours par application des techniques de pyrolyse, à partir de :

  • Résidus agricoles : tiges de mil, de coton, balles de riz
  • Résidus agro-industriels : coques d’arachide, de coton, d’anacarde, de bagasse,
  • Plantes aquatiques proliférantes comme le typha ou la jacynthe d’eau.
  • Poussier de charbon de bois On se limitera ici à décrire succinctement la filière utilisant les plantes aquatiques proliférantes.

La réalisation du programme de grands barrages a profondément modifié l’écologie du delta et de la Basse Vallée du Fleuve Sénégal. Du fait de la très faible pente du lit, l’eau salée remontait en effet, à l’étiage, sur près de 300 Km, accompagnée d’un biotope adapté aux fortes variations de salinité et de niveau, mais interdisant le développement de la culture du riz à grande échelle.

La fermeture de la digue anti-sel de Diama en 1985, complétée par de grands programmes d’endiguement des deux rives, a remplacé ces conditions par un vaste plan d’eau douce (400 Km de long sur 1 Km de largeur moyenne), dont le niveau est maintenu quasiment stable. Les retombées positives escomptées, notamment la possibilité de développer de grands périmètres d’irrigation gravitaire, se sont malheureusement accompagnées de nuisances dont l’importance avait été sous-estimée au stade des études préalables.

L’une de ces nuisances est la colonisation du plan d’eau et de toutes ses annexes (défluents, bras morts, lac de Guiers, …) par des plantes envahissantes, dont la jacynthe d’eau et le typha.

Sorte de roseau de grande taille (jusqu’à 3m de haut), le typha constitue par sa prolifération galopante (+ 15% par an) une véritable menace : il limite la navigation et les accès au fleuve de l’homme et du bétail, asphyxie les zones de pêche, obture les ouvrages hydrauliques, augmente fortement les pertes par évaporation (3), entraîne la stagnation de l’eau avec ses conséquences sur les maladies hydriques (notamment une recrudescence du paludisme et de la bilharziose), et de graves altérations de la qualité de l’eau (eutrophisation), mettant en péril l’alimentation en eau potable, non seulement des localités riveraines, mais également de Saint Louis, Dakar et même Nouakhchott.

La lutte contre ce fléau – déjà plus de 100 000 Ha infestés en 2003, représentant une biomasse de plus de 2 millions de tonnes – est donc une nécessité, qu’elle se fasse par coupe manuelle ou par des méthodes mécanisées (bateaux faucardeurs, dragage ou curage des berges). Cette lutte produit des quantités considérables de biomasse, qui peut être utilisée pour enrichir les sols sableux par enfouissement, et pour la fabrication de différents sous-produits, notamment de biocharbon.

On estime ainsi qu’une coupe annuelle de 100 à 120 000 tonnes de matière sèche de typha, correspondant plus ou moins à son extension annuelle, permettrait la production de 40 à 50 000 tonnes de biocharbon, suffisante pour couvrir les besoins de la population de la vallée depuis St Louis jusqu’à Matam.

Le biocharbon de typha – parfois mélangé avec d’autres déchets végétaux – peut être fabriqué par des méthodes artisanales comme celles développées par le PERACOD, des méthodes semi-industrielles comme celles utilisées par la société BRADES produisant à Saint-Louis du biocharbon à partir de poussiers de charbon récupérés et le projet BIOTERRE , produisant 700 T de biocharbon / an à partir de balle de riz et de coque d’arachide (région de Saint-Louis et bassin arachidier), ou des méthodes industrielles. Celles-ci sont mises en œuvre notamment dans le cadre du programme PRO-NATURA, qui utilise une technologie innovante évitant l’émission de gaz à effet de serre (GES), et bénéficiant ainsi de crédits carbone qui ont permis l’installation d’une machine dans la région de St Louis en 2007.

Des biocombustibles aux biocarburants

Jatropha curcas ou Pourghère, euphorbiacée proche du ricin, est capable de pousser sur des sols pauvres et de s’accomoder de faibles pluviométries (à partir de 200mm/an). Répulsive pour les animaux, elle est plantée en haies vives pour protéger les cultures contre ces derniers, ainsi que contre l’érosion éolienne et hydrique. L’ huile produite par simple pressage de ses graines a par ailleurs de nombreuses vertus, certaines traditionnelles (pharmacopée et production de savon), d’autres relativement nouvelles (lubrifiant et carburant). Ce dernier aspect s’avère particulièrement prometteur, puisque l’huile de pourghère peut se substituer au gasoil, moyennant une modification relativement simple des moteurs du type de ceux qui actionnent les moulins à grains ou les pompes à eau (4).

Une utilisation de l’huile en combustible domestique (brûleurs sous pression) est également à l’étude. Enfin, les tourteaux récupérés après pressage peuvent également être utilisé comme engrais, et pour la production de charbon de bois…

Moringa Oleifera, petit arbre oléagineux rustique (nécessitant toutefois une pluviométrie un peu plus élevée, à partir de 500 mm) est par contre une plante alimentaire (5) et fourragère. Son potentiel d’utilisation est énorme, d’abord pour ses propriétés diététiques, mais également en pharmacie et en production de biodiesel à partir de son huile.

MiscanthusXGiganteus, encore appelé herbe à éléphant ou roseau de Chine, est une plante pérenne de 3-4 m de hauteur, peu exigeante en intrants, et dont les meilleurs rendements s’obtiennent sous des pluviométries de 600 à 700mm/an. Le MXG peut être utilisé comme combustible solide (par exemple sous forme de granulés), et, grâce à sa richesse en lignocellulose, semble être un candidat de choix pour la production de biocarburants dits de deuxième génération (à partir de biomasse plante entière).

Les autres énergies renouvelables

On ne fera qu’évoquer ici l’importance des énergies renouvelables « classiques » pour le Sahel.

Le solaire, en premier lieu, devrait y trouver une place « naturelle », la matière première (l’irradiation) y étant de toute évidence abondante. Si le pompage solaire y est effectivement présent depuis au moins 25 ans, force est de constater que son développement y est resté limité, pour les mêmes raisons que dans les pays développés (limitations technologiques, rentabilité, main mise des énergies dominantes).

L’éolien est de même très peu développé, malgré un potentiel certain de la bande côtière entre Saint-Louis et MBour (3 à 5 m/s). Si le pompage éolien dans les puits et forages, pour lequel des modèles d’éoliennes adaptées ont été mises au point, fonctionne à petite échelle depuis assez longtemps, la production d’énergie par aérogénérateurs n’en est quant à elle qu’à ses balbutiements (6).

Le potentiel géothermique reste très mal connu, mais il est a priori faible dans un pays comme le Sénégal. Par contre, le potentiel hydraulique est important, et atteindrait 1000 MW sur les fleuves Sénégal et Gambie, à partager entre les pays riverains (7).

Les projets du CERADS

Typha : le CERADS a signé en Juin 2009 un protocole tripartite avec le PERACOD et la Mutuelle de Takk-Gan,, dont l’objet est la mise en place d’une unité de carbonisation de Typha à Pont-Gendarme (Région de Saint-Louis). La production prévue est de 20 tonnes de biocharbon par an.

En parallèle à cette première action concrète, le CERADS a pris des contacts avec les autres filières de production de biocharbon de la région de St Louis et souhaiterait s’impliquer, toujours à l’échelle de la communauté villageoise, dans des domaines comme celui de l’amélioration des techniques de coupe manuelle et les risques sanitaires inhérents, de la promotion du biocharbon et de sa commercialisation ainsi que de celle de réchauds adaptés à ce type de combustible (réduction de la pollution intérieure des habitations, amélioration des performances culinaires).

Jatropha, Moringa : le CERADS souhaite s’inscrire, non dans la culture industrielle de ces espèces dont on connaît par ailleurs les potentialités (et les dangers…), mais dans leur développement local en simples haies intercalaires, suffisantes pour assurer en plus de leur utilisation en clôture et brise-vent une petite production d’huile aux fins de remplacement du butane dans les réchauds de cuisson. Pour cela, il a mis récemment en place une petite plantation de Jatropha et Moringa olifera dans les environs de Thiès : le but est de vérifier l’adaptabilité de ces espèces aux contextes locaux , de préciser les pratiques culturales, de comparer la production d’huile .

Solaire, éolien : Au travers de missions préalables dans les îles du Sine Saloum, le CERADS a identifié un village de 6000 habitants (Dionewar) qui souffre du double problème de déficit chronique en eau douce et en électricité. La réalisation il y a une dizaine d’années d’une centrale solaire y a fait naître des espoirs, vite déçus quand celle-ci est tombée en panne quelques années après. Une mission d’identification est prévue en octobre prochain, au cours de laquelle seront mis en place des appareils de mesure de salinité de l’eau et de vitesse du vent (pour étudier la possibilité d’installer des aérogénérateurs). Une mission spécifique de diagnostic de la station solaire en vue de sa réhabilitation, avec participation de l’entreprise qui l’a réalisée, est par ailleurs en attente de financement.

Pour en savoir plus : « Biocombustibles au Sénégal, définitions, éléments techniques, bibliographie sélectionnée, Bertrand Plus – CERADS »